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La Révolte, Clara Dupont-Monod

Dernière mise à jour : 2 janv. 2019


« On aurait tort d’opposer la mécanique du roman et celle de l’historien ». Tel est le point d’orgue qu’appose, peu farouche, Clara Dupont-Monod à la fin de sa sublime Révolte, son dernier roman, écrit avec force et panache. Et elle est superbe cette mécanique romanesque, méticuleusement ouvragée, délicieusement ourlée et passionnément narrée. Elle met en scène - le terme est sciemment choisi - la vie d’Aliénor d’Aquitaine, duchesse d’Aquitaine, reine de France puis d’Angleterre, et prend le parti de se voir racontée par son fils, le grand Richard Cœur de Lion, ténébreux successeur du Plantagenet et grandiose vainqueur de Saladin.


Tout commence par cette soirée de 1173 où, ulcérée par les exactions de son époux Henri II Plantagenêt sur ses terres d’Aquitaine, elle convoque ses fils dans la grande salle du Palais de Poitiers et leur ordonne « d’une voix douce, pleine de menaces » d’aller renverser leur père. S’ensuit l’admirable épopée de cette incroyable souveraine, emplie d’autant d’amour que de haine, de dignité que de fragilité ; une femme aussi calculatrice que poétesse, aussi maternelle que guerrière ; une femme terriblement moderne somme toute.


« Inutile d’attendre des mots d’amour. Ma mère n’en a jamais prononcé. Cela ne m’attriste pas. Mon époque ménage les mots. Elle les respecte trop pour en abreuver les foules, les utiliser à tort et à travers. Viendra bien un jour où l’on parlera tellement qu’on ne dira plus rien ».


Aliénor est cette femme qui jamais ne baisse la garde, et je suis intimement convaincue (pour l’avoir souvent entendu parler sur les ondes de ma radio favorite) que pour se voir si bien dessinée, la Reine d’Angleterre a laissé un petit quelque chose dans le cœur de Clara Dupont-Monod. Sans doute lui ressemble t-elle beaucoup. Son amour pour la souveraine rayonne dans chaque mot, posé avec autant de passion que de délicatesse. Elle l’admire, admire sa force, son courage politique, autant que son triste destin. Elle aime et souligne son amour des mots et son infini respect pour eux. La parole n’est jamais légère pour la reine; elle est tenue, superbe. Jamais elle n’oublie que la paix et la guerre se décident d’une phrase.


« Ma mère ne demandait qu’une chose aux poètes, lui offrir un envers. Tous ils ont loué sa beauté, son courage et son ambition. Elle savait que la première se flétrit, le deuxième se paye et la troisième, lorsqu’elle pourrit sur pied, se nomme sagesse. Combien de fois l’ai-je entendue, lors des veillées, inviter les troubadours, leur disant : « Chantez-moi ce qui n’existe pas ? » Car seule la littérature peut inverser le sort, le temps d’un poème. »


Cet amour que porte l’auteur pour son personnage transpire littéralement dans le regard que pose sur elle son fils, troisième du nom, Richard Cœur de Lion. Si jamais sa mère ne fut tendresse pour lui, sa plus belle déclaration fut de lui offrir son Aquitaine, sa patrie. Et toujours chercha t-il à la satisfaire. Derrière tous ses excès, tristes et grandioses, il avait la folle angoisse que sa mère se détourne. Il la voulait fière de l’homme qu’il était devenu, du combattant qu’il était, de l’amateur de la chasse au sanglier et des duels au corps à corps, de l’amoureux des filles légères et des histoires sans lendemain. De cet enfant, sauvage et libre.


Il y a tant de douceur dans les mots que porte Richard pour sa mère. A-t-on jamais décrit la perte d’un enfant avec autant de délicatesse, autant d’amour et d’effroi? Cette perte qu’Aliénor ne connut que trop. « Ma mère entre en pays inconnu », dit-il. « Elle aura beau s’écorcher les mains à trouver un passage, tenir et fabriquer encore des enfants (elle en fit huit avec le Plantagenet), ça ne change rien. Elle avance parmi les mères amputées d’un petit, ombres dansantes qui psalmodient des berceuses. Désormais ma mère connaît l’envers du monde ». Quoiqu’il en soit, ce regard d’un fils sur sa mère est beau, tout simplement, et il est d’autant plus précieux que je le crois rare dans le monde littéraire historique.


On a presque parfois tendance à oublier que cette histoire est vraie, que cette femme a existé, qu’elle a traversé l’Europe, seule, à cheval à maintes reprises, qu’elle a survécut à des dizaines d’années de captivité, mise au banc du monde par son terrible époux, qu’elle a cherché à remettre en cause l’équilibre des puissances européennes, qu’elle s’est battu avec cette pugnacité pour ce en quoi elle croyait et ceux qu’elle aimait. Elle nous donne envie, envie de donner crédit à toutes ces femmes qui trop souvent furent oubliées des manuels scolaires et des envolées lyriques des écrivains.


Livre d’histoire cependant il n’est pas ; l’auteur s’en défend ! Elle ne fait que "raconter le temps" comme elle dit, le temps ressenti par Richard Cœur de Lion, avec ce qu’il implique d’imagination et de prise de libertés. Si la trame historique est avérée, Clara Dupont-Monod nous entraine, par son amour pour cette souveraine que l’on a envie de mieux connaître, dans une fin de XIIème siècle parfois imaginée et souvent magnifiée.

 

Par les mots de Clara Dupont-Monod, j’ai découvert et aimé Aliénor d’Aquitaine,

J’ai aimé cette reine qui,

d’un geste, d’un mot, pouvait figer autrui,

le transpercer de son regard, le muselant à jamais

ou l’élevant pour toujours.

J’ai aimé cette femme pudique, à la répartie cinglante,

La répartie que seules possèdent les femmes intelligentes.

J’ai admiré cette femme grandiose et pétrie d’idéaux,

Tendue, retenue, écorchée.

Capable d’aller jusqu’au bout, par amour, par haine, par amitié,

pour le sublime, des phrases et la beauté des mots.


« Viendra un temps où il faudra tout dire et tout montrer. Alors l’humanité sera perdue, car, sans secret, l’homme perd sa force. »


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